L'EXPRESS PARIS

Ce n'est pas parce que sa famille travaille depuis plus de deux siècles dans le faubourg Saint-Antoine (qui fête cette semaine ses 500 ans) et qu'il a fait l'Ecole Gambetta que la voie était toute tracée pour Daniel Sanglier jusqu'à la belle cour pavée de l'hôtel de Châtillon, au cœur du Marais, où il finit de s'installer. Ce n'est pas non plus simple coïncidence, puisque, ciseleur et monteur en bronze, il vient de reprendre l'exploitation du fonds Renon, vénérable maison qui y prospérait depuis le XIX siècle. Ce fonds Renon représente l'une des trois plus prestigieuses collections mondiales de modèles de luminaires, dessins et pièces, accumulés depuis 1825.


Aujourd'hui, Daniel Sanglier restaure des lustres anciens, qui lui arrivent parfois en pièces détachées au fond d'un vieux carton, et en réalise de nouveaux, mais dans le respect scrupuleux des modèles et surtout des méthodes de fabrication d'autrefois. De toute façon, il a décidé de ne faire que ce qu'il aimait, avouant que sa préférence allait, entre toutes, aux pièces du XVIII ème.


Il y a dans la fabrication d'un lustre quantité d'étapes qui correspondent chacune à un métier bien défini, comme celui de doreur ou celui de brunisseuse (ce sont presque toujours des femmes). Daniel Sanglier choisit, quand cela est possible, de tout faire lui-même, comme pour mieux maîtriser l'alchimie qui, de métamorphose en métamorphose, transformera le vil métal en pure lumière.


Une fois ébarbée la pièce sortie brute de fonderie, il lui fait subir l'épreuve de la « reparure » (la ciselure). « On travaille avec un mat , un ciselet, si vous préférez ou un traçoir, mais pas n'importe lequel : sous Louis XVI, la reparure se faisait avec un mat dit "à la pointe", tandis qu'il était bouterollé sous Louis XV et qu'il sera quadrillé sous Napoléon III, commente-t-il avec passion. Ces techniques donnent des couleurs très différentes au métal. Il est capital de les respecter. Ensuite, il faut polir la pièce, ou simplement la raviver, puis lui appliquer une feuille d'or ou d'argent, ou encore l'oxyder, selon ce qu'on veut obtenir : bronze médaille, canon de fusil, etc. » C'est alors qu'intervient l'opération délicate entre toutes : le « brunissage à la pierre d'agate ». La feuille d'or est écrasée sous une petite agate, avec une décoction de bois de Panama, jusqu'à ce que le métal fasse oublier, par un poli glace, ses rugosités antérieures. Alors seulement on le patinera, stade crucial puisque la patine, dont la composition est gardée secrète, fera, en quelques minutes, vieillir l'objet d'une dizaine d'années ou de plusieurs siècles.


« II y a aussi la cristallerie, pour les luminaires qui en comportent, et les fleurs de porcelaine. Heureusement, Renon possédait un beau stock de cristaux de Bohême et de Saint-Louis. Ce qu'on trouve aujourd'hui en France ne vaut plus rien ; je dois importer ce qui me manque de Tchécoslovaquie. » Ultime avatar, après la « remonture » du lustre, son électrification et la pose de fourreaux de cire (les fausses bougies) qu'il est le seul à fabriquer à partir de cire véritable.


Ne croyez pas que ce jeune alchimiste dynamique s'arrête là ! Quand l'objet le séduit, il est aussi capable de réparer ou de refaire une statuette, des chenets, des crémones, des pendules... Alors, si la gracieuse Diane de votre lampe Louis XV s'est tordu la cheville, ou si les boucles de Bacchus se sont encrassées aux feux de bois, apportez-les sans hésiter à l'hôtel de Châtillon.

 

ODILE PERRARD